
À la recherche de l’exotisme romantique : la musique française dans le cinéma américain
Depuis plusieurs décennies, les films américains dominent la production audiovisuelle occidentale grâce à des films à gros budget — des blockbusters dont le succès commercial immense et les revenus astronomiques permettent aux studios hollywoodiens d’engager le meilleur personnel possible et d’utiliser quasiment tous les moyens disponibles pour leurs futurs projets : des scénaristes et réalisateurs récompensés et renommés internationalement, des vedettes populaires dont le visage apparaît constamment sur grand écran ainsi que dans la presse people, et des compositeurs de musique de film très recherchés. Il peut sembler que, dans l’industrie cinématographique, chaque élément soit choisi avec une précision mathématique. Dès lors, on peut se demander pourquoi les studios décident d’utiliser de la musique française dans leurs films. Quels effets cherchent-ils à créer chez les spectateurs ?
Film music et music in film
Avant même d’aborder la question de la musique française dans le cinéma américain, il est important de clarifier la relation entre le septième art et la musique. Malgré l’histoire passionnante de la musique de film, il existe relativement peu d’études théoriques ou critiques sur ce sujet. De plus, on constate un manque d’intérêt en dehors de la sphère académique : il est plutôt rare qu’un critique de cinéma issu de la presse grand public accorde de l’attention à la musique, se concentrant davantage sur les aspects visuels et les performances des acteurs. Instinctivement, on considère la musique comme un élément secondaire. Comme l’écrit Kathryn Kalinak dans l’introduction de son livre Musique filmique : Une très courte introduction : « Étant donné que de nombreux spectateurs ne l’entendent même pas, en quoi [la musique de film] est-elle importante ? » (p. 1). Dans ce même chapitre, Kalinak explique l’utilité de la musique dans une œuvre cinématographique : sa capacité à établir le contexte spatio-temporel du film, à créer ou souligner l’ambiance d’une scène, à renforcer la narration ou les émotions du spectateur, et à faciliter la compréhension d’une séquence d’images qui pourrait autrement sembler incohérente. Bien que nous tentions de ne pas y prêter attention, sa présence — ou parfois son absence — joue un rôle essentiel.
Afin de mieux comprendre l’emploi de la musique française dans les films américains, il est important d’en examiner les différentes variantes. Pour ce faire, nous pouvons utiliser la terminologie anglophone, qui distingue souvent deux types de musique de film : la bande originale (film score) et la compilation musicale (soundtrack). Quelle est la différence ? La bande originale est une musique composée spécifiquement pour le film lors de sa production, tandis que le terme soundtrack désigne généralement des chansons préexistantes. Il arrive souvent que les deux types de musique soient utilisés ensemble, et parfois il peut être difficile de distinguer une bande originale d’une compilation, comme dans le cas du film Le Lauréat (The Graduate, 1967), où la chanson emblématique Mrs. Robinson du duo Simon & Garfunkel a été écrite spécialement pour le film, ce qui en fait techniquement une bande originale.
Une autre manière de décrire la musique dans un film, ou dans toute forme audiovisuelle, est d’en analyser la relation avec le monde diégétique : on distingue ainsi la musique diégétique de la musique non diégétique. En résumé, la musique diégétique fait partie intégrante de l’univers du film, les personnages peuvent l’entendre ; elle peut provenir d’une radio, d’un concert à l’écran, etc. À l’inverse, la musique non diégétique n’existe que pour le spectateur. Cependant, bien que cette distinction soit claire en théorie, certains cas sont plus ambigus. Dans Composer pour le film (Scoring for Films, 1971), Earle Hagen présente une troisième catégorie : le source scoring, une combinaison des deux précédentes. Le source scoring commence souvent comme musique diégétique mais devient progressivement non diégétique. Par exemple, dans la scène finale de L’Homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much, 1956) d’Alfred Hitchcock, un concert de la Storm Clouds Cantata d’Arthur Benjamin, dirigé à l’écran par Bernard Herrmann, commence de manière diégétique avant de s’intensifier, devenant clairement non diégétique pour souligner l’état émotionnel du protagoniste.
Enfin, il est important de mentionner que, dans l’industrie cinématographique, la gestion de la musique est assurée par le superviseur musical (music supervisor), qui travaille avec les producteurs et le réalisateur pour sélectionner les morceaux, superviser les contrats, et garantir le respect des droits d’auteur. En résumé, le superviseur musical est responsable de la musique, qu’elle soit diégétique ou non.
Illusions musicales françaises
Lorsqu’on se penche sur la musique française dans le cinéma américain, il convient de préciser de quel type de musique française ou francophone il s’agit. Comme expliqué précédemment, nous nous concentrerons principalement sur la compilation musicale (soundtrack). Il faut rappeler que la bande originale est composée spécifiquement pour un film par un compositeur engagé en amont. Bien que de nombreux compositeurs soient d’origine française — comme Alexandre Desplat, très reconnu pour ses œuvres telles que Harry Potter, Le Discours du roi (The King’s Speech, 2010), The Danish Girl (2015), entre autres — il est légitime de se demander si l’on peut qualifier ces bandes originales de « musique française ». Il est probable que l’origine de Desplat joue un rôle secondaire dans les choix des studios hollywoodiens, qui privilégient avant tout ses compétences musicales. Il est vrai que nombre de ses projets sont tournés ou situés en France, mais il n’existe pas de lien explicite entre sa culture d’origine et, par exemple, la musique de la saga Harry Potter.
Cependant, certaines bandes originales cherchent volontairement à évoquer la culture française. Dans Da Vinci Code(2006) de Ron Howard, Hans Zimmer intègre des éléments de musique traditionnelle française. De même, Michael Giacchino en fait autant dans Ratatouille (2007). Dans ces deux cas, la bande originale renforce l’atmosphère française du film et contribue à ancrer l’intrigue dans un cadre culturel précis. Néanmoins, certains cas sont moins évidents, comme La La Land (2016) de Damien Chazelle, qui mélange jazz américain et musique française. Pourquoi ? Plusieurs raisons sont possibles : le réalisateur est franco-américain, et le film s’inspire des comédies musicales à l’ancienne. La musique française, souvent perçue comme romantique, joue ici un rôle évocateur. Cette perception est ancrée dans des récits littéraires — pensons à la génération perdue de Fitzgerald ou Hemingway — et reprise dans les représentations hollywoodiennes, notamment dans les années 1950-60. Des phénomènes similaires ont touché d’autres villes comme New York, idéalisée notamment par Woody Allen. Caryl Flinn évoque ainsi une sorte d’utopie hollywoodienne qui recrée ou fantasme un passé romantique.
Pour ce qui est des compilations musicales, on retrouve une logique semblable. Woody Allen, par exemple, montre une affection marquée pour la France, souvent plus enthousiaste que celle de son propre pays. Dans Minuit à Paris (Midnight in Paris, 2011), on entend des chansons de Brassens, Piaf ou Trenet. Le choix musical contribue à recréer un Paris idéalisé, celui de la génération perdue. Dans The Artist (2011), la musique de Ludovic Bource, essentielle dans un film muet, relie le film à son époque comme à sa culture.
Un cas particulier est Marie Antoinette (2006) de Sofia Coppola. Bien que le film se déroule au XVIIIe siècle, la réalisatrice mêle musique baroque et genres contemporains comme la new wave ou le post-punk. Cette approche, bien que historiquement libre, rend le personnage plus humain et accessible. La musique baroque renforce l’aspect réaliste, tandis que les morceaux contemporains modernisent la figure de Marie Antoinette. L’inclusion de groupes comme Adam and the Ants accentue encore ce décalage stylisé. La chanson des Strokes, I’ll Try Anything Once, dont les paroles évoquent l’oubli, provoque une forme d’empathie pour la jeune reine.
De la musique avant toute chose
Comprendre le choix musical dans un film est une tâche complexe, influencée par de nombreux facteurs : réalisateurs, producteurs, superviseurs musicaux, compositeurs. Si la musique sert souvent à contextualiser, certains créateurs choisissent des morceaux inattendus — parfois déroutants au premier abord — mais qui s’avèrent profondément efficaces. Le cinéma est, après tout, une œuvre collective où chaque choix artistique contribue à l’impact émotionnel global du film.
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